La demande déclinante et discontinue inquiète les producteurs européens d’engrais

Usine LAT Nitrogen anciennement Borealis de Grand-Quevilly
« Les perspectives à moyen terme s'annoncent difficiles pour les producteurs de NPK », estime Renaud Bernardi, de LAT Nitrogen. (©S. Leitenberger - stock.adobe.com)

Pour Renaud Bernardi, responsable commercial de LAT Nitrogen France, deuxième entreprise productrice d’engrais en Europe, « l’industrie européenne de l’azote est sans doute confrontée à ses plus grands défis depuis des décennies ». Le 27 février, il évoquait les tendances du marché des engrais minéraux, lors d’une conférence organisée par FranceAgriMer au Salon de l’agriculture.

« La reprise de l’industrie des engrais restera difficile compte tenu de l’environnement énergétique actuel », explique-t-il. Les prix du gaz naturel notamment, qui représentent « 80 % du prix des engrais azotés », restent élevés.

Déjà haut en 2021 avec la reprise économique post-Covid, le Dutch TTF, cours du gaz de référence en Europe, a flambé au moment du déclenchement de la guerre en Ukraine, avant de retomber. Son prix moyen tournait entre 40 et 50 €/MWh début 2025 puis il a dégringolé en avril à la suite des annonces de Donald Trump autour des droits de douane.

Ils oscillent ces jours-ci entre 30 et 35 €/MWh, ce qui reste largement supérieur aux prix d’avant-crise : 16 €/MWh en moyenne sur les années 2015 à 2020. Et « ce doublement des prix du gaz, nos compétiteurs ne le connaissent pas ! ».

Les importations d’engrais se sont accentuées depuis le début de la guerre et pèsent aussi sur le secteur : autour de 4 Mt en 2020, les imports européens d’urée culminaient encore à 5,7 Mt en 2024. En parallèle, après avoir chuté de 34 % en 2022 par rapport à la moyenne 2015-2020, « la production européenne d’ammoniac ne s’est jamais vraiment rétablie ».

« Globalement, depuis le début du conflit, beaucoup d’ateliers européens de fabrication d’engrais NPK ont fait des arrêts complets temporaires, ou ont abaissé leur production à 50 ou 60 % de leur capacité nominale ». Les importations ont remplacé une partie de cette non-production et ont réduit la compétitivité des producteurs européens d’engrais.

La demande en engrais des agriculteurs est en baisse

Leurs perspectives à moyen terme s’annoncent compliquées aussi quand on se penche sur la demande en engrais des agriculteurs européens. En baisse depuis 2020/21, elle a « un peu redressé la tête » sur la campagne 2023/24 mais reste « inférieure de plus de 10 % à son niveau d’avant-crise » pour l’azote, de 20 % pour le phosphore et le potassium.

Une consommation moindre principalement liée à « la hausse très significative des prix » des engrais, associée à des problèmes de trésorerie, « surtout en élevage ». Les agriculteurs ont aussi tendance à acheter de façon moins régulière durant la campagne, réduisant leurs achats à l’automne et attendant le début de l’année suivante pour couvrir leurs besoins « en espérant que ce sera moins cher, alors que ce n’est vrai qu’une année sur dix ».

Pour Renaud Bernardi, ce changement dans les comportements d’achat des utilisateurs est « préoccupant » : « les limites logistiques ne pourront pas compenser les retards d’achat qu’il y a eus à l’automne » et cela risque de mener au printemps à des disponibilités insuffisantes et à des hausses de prix des engrais.

Car concrètement, les usines vont réduire leur production à l’automne, ne pourront pas la rattraper en janvier-février-mars, et les imports ne couvriront pas à court terme ces pertes de production car ils nécessiteraient d’être anticipés.

Selon lui, cette tendance des agriculteurs à retarder leurs achats doit inciter à réfléchir à de nouveaux modèles « pour que chaque acteur de la chaîne de valeur puisse trouver un équilibre entre la nécessité de s’approvisionner en temps et en heure et celle de limiter son risque d’achat compte tenu de la volatilité des prix. »

Les quotas gratuits de CO vont se réduire

Il pointe une autre inquiétude majeure pour les producteurs européens d’engrais minéraux, à plus long terme : l’impact des objectifs climatiques de l’UE.

À l’heure actuelle, l’industrie des fertilisants, comme toute l’industrie chimique européenne, bénéficie de quotas gratuits de CO qui permettent de compenser les émissions liées à la production : produire une tonne d’ammoniac génère environ deux tonnes de CO.

Ces quotas gratuits vont être progressivement réduits à partir de 2026, pour être entièrement supprimés en 2035. En parallèle, l’Europe mettra en place une taxe carbone aux frontières censée compenser l’écart de compétitivité avec les pays tiers.

Et l’obligation d’acheter de plus en plus de CO sur le marché risque de faire monter son prix - « la tonne de CO vaut aujourd’hui moins de 100 euros, mais certaines estimations prévoient qu’elle pourrait atteindre 250 € d’ici 2034 ».

D’où une « augmentation mécanique » du prix des fertilisants. Car « d’un côté vous allez produire en Europe, mais vous allez produire plus cher parce que vous devrez acheter des quotas carbone. Ou vous importerez vos engrais, sur lesquels sera appliquée une taxe carbone qui renchérira la valeur du produit ».

Une situation pénalisante pour les exports de fertilisants européens, qui s’élèvent aujourd’hui à environ 6 Mt : « À terme, ce n’est pas un problème de disponibilité d’engrais qui risque de se poser dans l’UE, mais bien de compétitivité ! ».

Revenant sur les ambitions vertes de l’UE, Renaud Bernardi appelle à ce que la décarbonation soit cadrée et soutenue financièrement par le gouvernement.

Il exhorte aussi à ce que la transition vers ces engrais verts se fasse de façon progressive : « Les productions d’engrais décarbonés doivent trouver au fur et à mesure leur clientèle et leur marché pour pouvoir être valorisés. Ça va demander, là aussi, un travail conjoint des producteurs de fertilisants et de leurs clients ».

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