France Stratégie, un « organisme d’études et de prospective placé auprès du Premier ministre », a présenté, mercredi 23 octobre, ses propositions de réforme de la Pac, pour faire de cette dernière « un levier de la transition agro-écologique ».
Notant un contexte de « vrai malaise » et de « volatilité des revenus agricoles n’ayant d’équivalent dans aucune autre profession », France Stratégie suggère de « mettre en place une politique ambitieuse, durable, qui valorise les services rendus par les agriculteurs à la société ». Quitte à proposer un changement radical d’approche.
Premier élément de ce changement radical : le remplacement de l’actuel premier pilier de la Pac et ses droits à paiement de base par un « pilier emploi agricole ». « Nous proposons de faire évoluer les systèmes de paiements de base vers les unités de travail plutôt que les surfaces », a expliqué Gilles de Margerie, commissaire général de France Stratégie. Autrement dit : finies les aides à l’hectare. Ces dernières seraient remplacées par des « soutiens par unité de travail agricole », déconnectés du niveau de la production.
8 000 € d’aide annuelle par équivalent temps plein
Cette nouvelle base de paiement – l’emploi – « induirait une répartition différente de la distribution actuelle » : les producteurs de grandes cultures et éleveurs de ruminants seraient nettement pénalisés, à l’inverse des producteurs de cultures légumières et arboricoles.
Selon les estimations de l’organisation, « avec un montant total de 5,7 Mds€ en 2018 et 711 000 équivalents temps plein en 2016, nous pouvons envisager une aide annuelle à l’emploi d’environ 8 000 € par équivalent temps plein ».
Quant à l’actuel deuxième pilier de la Pac, il serait concentré sur la « transition vers l’agro-écologie » et prendrait un poids bien plus conséquent qu’actuellement dans l’architecture générale de la Pac. Ce deuxième pilier comprendrait un lot de cinq « bonus » pour « rémunérer les services environnementaux ».
Les agriculteurs pourraient bénéficier de « bonus » s’ils s’engagent notamment au maintien des prairies permanentes, à la diversification des cultures et des surfaces d’intérêt écologique. Les producteurs contraints par des zones Natura 2000 et des « zones à haute valeur naturelle » au titre des trames verte et bleue, seraient eux-aussi soutenus collectivement pour leurs efforts. De la même manière, des groupes d’agriculteurs pourraient s’inscrire dans des contrats longs pour l’innovation agro-écologique » et bonifiés pour l’atteinte d’objectifs spécifiques.
De 15 à 50 % de taxes en plus sur les phytos, engrais et antibiotiques
Mais qui dit « bonus », dit « malus ». Sur le plan budgétaire, la proposition est faite « sans nécessiter une hausse du budget de la Pac ».
Mais « pour financer ces bonus agro-écologiques », il est question d’instaurer des taxes supplémentaires significatives sur les intrants, à commencer par les produits phytosanitaires, les engrais, les antibiotiques. Un malus sous forme de taxes viendrait ainsi pénaliser l’usage de ces intrants et, plus globalement sur les émissions de gaz à effet de serre.
Selon France Stratégie, ces taxes pourraient rapporter autour de 3,9 Mds€ par an. « À titre d’exemple, le bonus pour la diversification des cultures, dont le coût est estimé à 2,4 Mds€, pourrait être financé par une montée en charge progressive de la taxe sur les engrais et les pesticides en partant d’un taux de 20 % du prix, et de la taxe sur les antibiotiques en partant d’un taux de 15 %, ces taux correspondant aux seuils minimum pour engendrer un changement de pratiques. »
Mais France Stratégie envisage bien une « montée en puissance » significative de ces taxes au fil des années. « Pour atteindre l’objectif de réduction d’usage des pesticides de 50 % en 2025, il serait nécessaire de tripler le prix des pesticides », notent les auteurs du rapport.
De nombreux scénarios perdants pour les agriculteurs
Pour appuyer son argumentaire, France Stratégie a simulé ses propositions sur huit typologies d’exploitations, en prenant deux hypothèses : une « basse » intégrant des niveaux de taxes « faibles » et une « haute » avec le niveau maximal de taxes envisagé. Dans tous les cas, les exploitations de grandes cultures en production conventionnelle seraient perdantes à l’horizon 2025 avec un niveau élevé de taxes, même en opérant les changements de pratiques souhaités dans le cadre de la réforme.
Ainsi, dans le scénario le plus « taxé », les exploitations céréalières de 80 à 180 ha en région Centre perdraient tout de même 1 890 € chaque année en changeant leurs pratiques d’ici 2025. Sans changement agro-écologique sur ces fermes, les producteurs perdraient près de 14 000 € d’aides annuelles.
Les exploitations laitières en polyculture-élevage de moyenne taille en troupeau intensif prim’holstein seraient, quant à elles, les plus sévèrement sanctionnées. Même en opérant le virage agro-écologique envisagé, la baisse d’aides annuelles seraient de près de 12 000 € !
À l’inverse, les exploitations céréalières biologiques de moins de 130 ha « gagneraient » de 9 000 à 11 000 € d’aides annuelles, tout comme les élevages laitiers en système herbager.
Dans ce schéma, les agriculteurs seraient gagnants seulement s’ils s’inscrivent pleinement dans le virage agro-écologique souhaité à travers cette Pac réformée, et si l’État ne franchit pas le pas d’instaurer les fourchettes hautes des taxes suggérées.