Et si la Sarthe se remettait à produire du chanvre ? Entre le XVIIIe et la première partie du XXe siècle, c’était l’un des premiers départements producteurs de chanvre. Après la seconde guerre mondiale, elle assurait plus des deux tiers de la production nationale. Le chanvre à l’époque apparaissait comme emblématique du dynamisme sarthois, c’était le « bonheur du paysan ». Mais pendant les trente glorieuses, il est concurrencé par de nouveaux matériaux et de nouvelles techniques, la production chute.
La renaissance de la culture de cette plante aux multiples débouchés, en Sarthe, pourrait venir d’une toute jeune entreprise, Qairos énergies. Elle s’est fixé l’objectif de produire du méthane de synthèse et de l’hydrogène à base de chanvre local.
L’an dernier, neuf agriculteurs du département ont répondu à l’appel de la start-up. Ils ont produit au total une cinquantaine d’hectares. Parmi eux, Patrice Gandais, à Laigné-en-Belin, à une vingtaine de kilomètres au sud du Mans. Lui, n’est pas un novice puisqu’il fait partie des quelques agriculteurs sarthois à produire du chanvre depuis des années pour la coopérative vendéenne Cavac. L’an dernier, il a implanté cinq hectares pour Qairos. Les contrats sont sécurisés et permettent de dégager une marge de « 800 € par hectare en moyenne ». Les avantages du chanvre ne manquent pas : « C’est une culture qui nettoie », raconte l’éleveur de poulets de Loué. « Cela couvre le sol, cela permet de réduire le salissement, après la récolte, le sol est parfaitement propre, il n’y a pas d’adventices, raconte-t-il. Et puis le chanvre structure le sol grâce à sa racine pivotante qui va en profondeur, s’il y a une semelle, que le sol est un peu tassé, cela décompacte tout cela ». Après la récolte, il laboure à vingt-cinq centimètres pour enfouir les résidus (d’autres s’en passent), avant d’implanter une céréale.
Culture simple, récolte compliquée
Le chanvre s’insère bien dans la rotation, c’est une très bonne tête d’assolement. Entre deux cultures d’hiver, la plante rompt le cycle de maladies et des mauvaises herbes. La conduite de la culture semble assez simple : en mars, Patrice Gandais épand un fumier de volaille (dix tonnes). Le semis, à 50 kg/ha, se fait début mai avec un semoir à blé en combiné. « Il faut qu’il pleuve avant les semis, mais pas dans les 24 heures qui suivent, et si on rate le semis la récolte est foutue ». Il faut un peu de beau temps, et « plus ça lève vite, mieux c’est ». Un petit apport de 80 unités d’azote ensuite, et c’est tout. Jusqu’à la récolte en septembre, il n’y a pas d’autre intervention.
Et c’est là que cela se complique un peu. La récolte est sans doute la phase la plus délicate. Ici, c’est avec une vieille ensileuse John Deere modifiée, sur laquelle un rotor New-Holland a été monté pour couper des brins de quarante centimètres. « Si tout va bien, on récolte un hectare par heure ». Mais tout ne va pas toujours bien : il y a parfois des pannes mécaniques, des bourrages. Et avec une plante fibreuse, il faut parfois jusqu’à deux heures pour tout retirer. Bref, « c’est pas une culture simple à ramasser ! » euphémise l’éleveur.
Attention aussi à ne pas récolter trop tard : « S’il n’y a que des brins secs, c’est trop tard, c’est le pire de tout, il ne reste plus que de la filasse ». Le chanvre récolté est ensuite andainé, fané et pressé en botte. « Pas toujours facile non plus », commente Patrice Gandais.
Un projet retardé
Les quelque 450 tonnes de chanvre récoltés sur les neuf exploitations sont toujours stockées dans les hangars. Pour le méthane ou l’hydrogène, il faudra attendre un peu. L’idée initiale de Qairos, c’était de produire de l’hydrogène et du méthane de synthèse à partir de la gazéification de la plante, un procédé « unique en Europe ». Le chanvre, associé au lisier ou fumier, est broyé et séché. Le mélange, devenu une poudre fine, est projeté sur une plaque chauffée à 1 200 degrés, passant de l’état solide à l’état gazeux. Une première unité de production devait voir le jour cette année, le permis de construire a bien été délivré, mais « il manque un cadre législatif stable », maugre le patron fondateur de Qairos. « Dès que le tarif de rachat du méthane à réinjecter sera connu, on pourra lancer les travaux de construction ». Le chantier de ce "démonstrateur de gazéification" prendra deux ans. En attendant, pas question d’implanter du chanvre en 2022. Celui qui a été récolté reste stocké dans les exploitations agricoles.
Son PDG Jean Foyer y croit fermement, « avant 2024 il y aura un site qui tournera en 5/8 soit 8 000 heures par an pour produire du gaz de synthèse ». L’objectif, à terme, c’est de produire pas moins de 1 000 hectares de chanvre par an avec une centaine d’agriculteurs dans un rayon de 35 km. Les ambitions sont grandes : « Ce site est un site pilote, la France a le potentiel d’accueillir une centaine d’unités Qairos sur son territoire d’ici 2030 », estime Jean Foyer. D’ici là, il y aura quelques freins à lever.
Des points de blocage
Pour séduire les agriculteurs, il faudra sans doute commencer par remonter le prix, actuellement autour de 115 à 120 euros la tonne, pour qu’il soit compétitif face aux céréales. Se posera peut-être aussi la question du stockage. Le chanvre doit être stocké sur les exploitations, mais encore faut-il avoir suffisamment de place. « Celui qui veut faire du chanvre doit savoir qu’il doit le stocker pendant un an ! » met en garde Patrice Gandais. Pour certaines exploitations, se posera aussi la question de l’autosuffisance alimentaire. Et puis un chanvre ne peut revenir que tous les cinq ou six ans sur une même parcelle. « Mobiliser une centaine d’agriculteurs dans un rayon de 35 kilomètres sera peut-être compliqué », songe l’éleveur de Laigné-en-Belin.