« Les silos sont pleins, les poches sont vides » : au-delà de la simple punchline, Sylvain Jessionnesse, céréalier dans l’Aube et cofondateur de Piloter sa ferme, résume bien la situation des exploitations de grandes cultures en cet automne 2025. « Le bilan économique des récoltes 2025 est négatif. Pour une exploitation de grandes cultures représentative de la ferme France, le manque à gagner est de plus de 60 € par hectare », expliquait-il déjà mi-septembre.
Une parité euro-dollar pénalisante
Aurélien Chainé produit lui aussi des céréales et oléoprotéagineux dans le sud de l’Aube, « avec un peu de chanvre et de betteraves, ainsi qu’une activité de prestation de services ». Comme tous les producteurs, il est confronté à la même difficulté économique. « Le marché ne permet plus d’assurer des prix rémunérateurs. Dans mon cas, il me manque entre 30 et 40 € par hectare pour dégager un revenu satisfaisant », calcule-t-il, un brin résigné.
Depuis mi-février dernier, les courbes d’évolution des prix affichent un net décrochage des céréales. Après huit mois évoluant dans un tunnel de prix entre 210 et 230 €/t, le blé (rendu Rouen) s’est engoufré dans une tendance baissière jusqu’à toucher les 185 €/t depuis mi-septembre. « Un net décrochage corrélé non pas à une évolution des fondamentaux du marché, mais à celle de la parité euro-dollar », explique Marius Garrigue, analyste marchés. Tous les trois étaient réunis à Innov-Agri 2025.
« Quand une grosse part du blé français part à l’export et que l’euro devient trop fort, les vendeurs doivent malheureusement ajuster leurs prix à la baisse », poursuit celui qui décortique quotidiennement pour Terre-net ce qui motive les mouvements des marchés.
Un problème structurel qui épuise les réserves
Le mouvement baissier des prix de ces neuf derniers mois vient alimenter « une difficulté désormais structurelle pour la ferme céréalière française », considère Sylvain Jessionnesse. « Nous avions terminé 2024 dans le rouge, nous sommes dans le rouge en 2025 et nous le serons certainement en 2026. »
De quoi inquiéter encore davantage Aurélien Chainé. « Certes, nous avons passé quelques bonnes années en 2021 et 2022. J’ai pu faire des réserves via la déduction pour épargne de précaution. Mais elles sont aujourd’hui épuisées. »
Mais alors, dans ce contexte morose, comment envisager la commercialisation de la moisson 2025, voire anticiper celle de la prochaine récolte ? « Le premier conseil est de bien suivre l’évolution des marchés, pour plusieurs raisons, assure Marius Garrigue. Pour d’abord bien comprendre ce qui se passe au quotidien, pour avoir aussi un peu de sérénité face aux variations, et surtout pour saisir d’éventuelles opportunités. »
Pour Sylvain Jessionnesse, qui a cofondé Piloter sa ferme il y a dix ans, « l’important est de déterminer un cadre de gestion » sur la base des coûts réels de production permettant de fixer des seuils de commercialisation par production. « Il faut se fixer des objectifs de vente tenant compte des besoins de trésorerie. »
« Les émotions sont de très mauvaises conseillères », ajoute le spécialiste. « Le meilleur moyen de ne pas céder à la panique quand ça baisse, c’est de suivre à la lettre sa stratégie. » Des conseils qu’Aurélien Chainé suit comme il peut. « Saucissonner les ventes permet de limiter la casse. Mais à l’inverse, il y a un risque de passer à côté d’un bref rebond », témoigne l’agriculteur, avant de concéder : « Vendre une grosse partie de sa production au plus haut, dans le contexte actuel, ça relève plus de la chance que de la science. »
