Installé à Petiville, en Seine-Maritime, Benoît Minard s’est retrouvé avec 39 ha de blé et d’orge inondés lors de l’hiver 2017/2018. « Il a fallu réfléchir à quelle culture resemer derrière au printemps, sachant que j’avais déjà prévu 60 ha de maïs grain sur les 200 ha de la SAU », explique l’agriculteur.
En discutant avec son technicien Noriap, il décide de tenter le soja pour voir si cette plante était en mesure d'arriver à maturité dans son contexte pédo-climatique et s'il était possible de la récolter dans de bonnes conditions. « On a mis en place 7 ha, que la coopérative s’est engagée à dérisquer sur la première année. » Sa filiale d’alimentation animale, Novial, était à la recherche de protéines végétales non OGM, produites localement.
Diversifier l'assolement et étaler la charge de travail
« L’essai s’est avéré concluant, récolté dans les normes (16 % maximum). On continue depuis avec environ 15 ha chaque année, car on a découvert des intérêts agronomiques et économiques. La moyenne de rendement tourne aux alentours de 37 q/ha en 8 ans, indique l’agriculteur. Et la marge dégagée à 40 q/ha équivaut à un blé tendre de 95 q/ha, ce qui est difficile à atteindre dans nos terres argilo-sableuses. Le rendement moyen est plutôt estimé à 85 q/ha. »
Le fait de diversifier l’assolement permet aussi d’étaler la charge de travail. Avec environ 75 % de la SAU inondable, Benoît Minard se retrouve avec plus de 150 ha à ensemencer au printemps, qu’il répartit ainsi de mars à mai, entre betteraves sucrière, lin fibre, pois, maïs grain et soja. Cela permet aussi d’échelonner les récoltes. Le producteur est installé seul sur son exploitation, et peut compter sur l’aide de son père.
En 2025, Benoît Minard a pu implanter le soja début mai (variété 000) et le récolter entre le 17 et le 18 septembre. « C’est une année globalement normale, avec un été suffisamment chaud et arrosé pour la culture, le rendement a été limité (35 q/ha) par des soucis de phytotoxicité au départ, ce qui a entraîné des pertes de pieds », observe-t-il.
Pour le soja, la période de sensibilité au stress hydrique s’étend principalement du stade floraison à la première gousse brune. Benoît Minard n’a pas recours à l’irrigation dans ces zones alluvionnaires, le pivot du soja peut aller capter l’eau "facilement", à 1,50 m de profondeur.
Produire des protéines locales
Parmi les spécificités de la culture, le producteur note « la nécessité d’inoculer la semence, idéalement moins de 24 h avant l’implantation. Cela permet la mise en place des nodosités de la légumineuse, la bactérie Bradyrhizobium n’étant pas naturellement présente dans les sols de l’Hexagone ». Pour la suite de l’itinéraire technique, l’attention se porte surtout sur la gestion des adventices, avec généralement un désherbage au semis contre les dicotylédones et un anti-graminées, ainsi qu’un rattrapage pour les deux cas. Benoît Minard apporte 40 unités/ha de phosphore et 50 de potassium, il n’a pas recours aux fongicides, ni aux insecticides dans son contexte.
L’agriculteur compte un délai de retour de 3 ans, « j’ai testé le soja sur soja, et ça a l’air de fonctionner, mais on s’expose au sclérotinia. De plus, le soja est un bon précédent pour une céréale, avec un reliquat azoté 20 à 30 % plus élevé ». En 2024, Benoît Minard s’est également lancé dans la multiplication de semences de soja pour Exélience, mais l’automne pluvieux a compliqué la récolte. Les taux de germination des graines n’étaient pas dans les normes pour intégrer la multiplication, elles ont donc rejoint le circuit classique. L’agriculteur a toutefois retenté en 2025 avec 10 ha engagés et l’expérience s’est montrée concluante. La prime de multiplication est de l'ordre d'un cinquantaine d'euros par tonne, et permet de couvrir le stockage pendant 4 mois et le chargement.
Pour le producteur, « la culture du soja a plein d’atouts et c’est une fierté de produire des protéines locales. Je crois au projet Leggo, qui vise à développer les légumineuses à destination de l’alimentation humaine dans le Grand Ouest, mais ça ne va pas assez vite à mon goût ! »
Un constat partagé par Nordine Dridi, chef de région Normandie pour Noriap et administrateur de Leggo. « Le soja représente une très bonne tête de rotation, peu consommatrice d’engrais, mais il faut un débouché. Aujourd’hui, la coopérative accompagne les producteurs sur les cultures de soja, lupin, féverole et pois chiche. Le souci principal reste la fragilité de ces filières, qui représentent des marchés mineurs, avec des rentabilités fluctuantes. En cas d’année blanche, il n’y a aucune garantie. Le chef de région envisage la construction d’un système assurantiel, comme c’est le cas du pois de conserve.
« Le soja français n'est aujourd'hui pas suffisamment rémunéré (440 €/t en 2024, hors prime), compte-tenu de sa certification non OGM et de la proximité de production, ajoute Benoît Minard. Si on compare sur le marché mondial, il devrait être payé 500 à 600 €/t aux producteurs et être conduit vers les filières à plus forte valeur ajoutée. »