Énergies vertes
Électricité, gaz ou hydrogène... à quoi vont tourner les tracteurs demain ?

Électricité, hydrogène, méthane... les constructeurs planchent sur le sujet pour réduire l'empreinte carbone du machinisme agricole. (©Luc Tiffay)
Électricité, hydrogène, méthane... les constructeurs planchent sur le sujet pour réduire l'empreinte carbone du machinisme agricole. (©Luc Tiffay)

 

L’enjeu n’est pas seulement technologique, il est écologique, l’agroéquipement représentant 10 à 15 % des émissions de CO2 produites par l’agriculture. Voilà une bonne quinzaine d’années que les constructeurs expérimentent des technologies qui pourraient remplacer les carburants fossiles. John Deere s’est par exemple illustré avec des solutions hybrides depuis 2013, et des prototypes avaient été développés bien avant. Dans les années 1950, Case, Ford ou John Deere proposaient déjà des tracteurs roulant au GPL. Aujourd’hui, le défi de la décarbonation est impérieux. « À souligner aussi : l’enjeu d’autonomie, pointe Stéphane Chapuis, responsable du service AgroÉcoTech de la Fédération nationale des Cuma (FnCuma). Dans l’agroéquipement, la question de l’autonomie énergétique n’a jamais vraiment été travaillée. »

Toutes les énergies alternatives se heurtent à de nombreuses contraintes telles que le coût, le poids et surtout, l’autonomie d’utilisation, « problématique centrale », selon Nicolas Walter, animateur national machinisme à l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA). « Travailler huit heures sans avoir à ravitailler, c’est encore compliqué. »

La batterie : principale contrainte de l’électrique

En électrique, la puissance ne semble pas être le facteur limitant, tant le rendement est supérieur à celui du moteur thermique. En revanche, ce qui pêche sur les gros tracteurs, c’est bien l’autonomie. La batterie lithium-ion (celle qui fait tourner les voitures tout électrique) montre ses limites. « Le concept de tracteur de 750 ch développé par John Deere en 2020 nécessitait, pour huit heures de fonctionnement, un rack de batteries de 20 t ! » rappelle Nicolas Walter.

Fendt e100 Vario
Le développement de l’électrique (ici, un Fendt e100 Vario) se heurte à plusieurs obstacles : surcoût à l’achat, poids important des batteries, accessibilité au point de rechargement et temps de charge très long. (©Fendt)
 

Afin de faire tourner un tracteur de 150 à 250 ch pendant huit heures, il faut encore 5 t de batteries qui, en outre, ne peuvent se placer aux endroits les plus exposés, pour des raisons de sécurité. Sans compter qu’il faut des heures pour les recharger. La problématique est identique à celle de l’automobile. La promesse de Tesla de fournir des batteries à forte capacité de stockage pour un faible encombrement est réjouissante, mais nul ne sait à quelles échéances elles sortiront du laboratoire et seront ensuite adaptables. 

Les motoristes ont annoncé il y a quelques mois que chacun des constructeurs aurait un tracteur électrique au sein de sa gamme d’ici dix ans. Reste à savoir quel sera le prix de la machine… « On peut espérer que le surcoût à l’achat d’un modèle électrique n’excédera pas 20 % par rapport à son équivalent thermique », songe Nicolas Walter. Pour Nicolas Morel, chef produit tracteur chez New Holland, « soit la technologie fait un bond, soit les moteurs électriques seront réservés aux matériels de petite puissance comme les tracteurs de 70 ch, les valets de ferme, les minipelles et les robots ». En attendant, on trouve par exemple l’e100 Vario de Fendt, un spécialisé de 100 ch 100 % électrique qui promet de travailler pendant cinq heures non stop.

Outre-manche, JCB propose sept machines fonctionnant grâce à l’électricité, « mais l’électrique ne sera pas la solution à tous les besoins », prévient son directeur général, Philippe Girard. Coût trop élevé, batteries trop lourdes, rechargement compliqué… 

Pas d’avenir pour l’hybride

Les versions hybrides ne constituent pas une rupture, car le moteur électrique ne vient que s’ajouter à un bloc diesel. La solution risque donc de n’être que transitoire. « La technologie alourdit considérablement le poids de l’engin, ce n’est donc pas forcément jouable. D’autant que cela ne répondra pas aux exigences de réduction massive des émissions de CO2 », analyse Nicolas Walter.

Le 7530 E-premium de John Deere n’a pas percé faute d’équipements attelés compatibles avec la nouvelle prise de force. « Hormis en viticulture ou en arboriculture, les perspectives de choix sont faibles, constate l’expert de l’APCA. Sur les tracteurs, la volonté est donc plutôt de se passer complétement du thermique. »

New Holland croit au gaz

Le gaz pourrait se frayer une place de choix parmi les énergies alternatives. Pour l’instant, New Holland est l’un des seuls constructeurs à s’y intéresser activement. À en croire Nicolas Morel, « en grandes cultures, seul le gaz peut constituer une alternative au diesel. Le niveau de puissance et d’autonomie est compétitif, et répond à la question de l’autonomie », argumente-t-il. Le New Holland T6.180 Methane Power de 180 ch est commercialisé depuis fin 2021 chez une dizaine d’agriculteurs. Il est « aussi performant que son équivalent diesel, avec 30 % d’économies sur les coûts d’exploitation ». Pas de différences notables question performances, elles sont à peu près équivalentes si l’on se réfère au passage au banc de puissance réalisé par l’association Aile (réseau des Cumas), en début d’année. « L’engin a été comparé avec un modèle diesel de puissance équivalente, et les résultats sont similaires, avec des plages de consommation comparables », synthétise Armelle Damiano, directrice de l’association.

Tracteur Methane Power de New Holland
Le T6 Methane Power de New Holland a été vendu à une dizaine d’agriculteurs. L’engin s’annonce aussi performant que son équivalent diesel et permet d’économiser 30 % sur le coût d’exploitation. (©New Holland)
 

Selon Nicolas Morel, « le moteur du T6 Methane Power est juste un petit peu plus nerveux, il y a un petit peu moins de frein moteur ». Principale contrainte du gaz et non des moindres : la gestion de l’autonomie. « On multiplie le volume de réservoir par deux, tout en réduisant de moitié l’autonomie », résume le chef de produit tracteurs de New Holland. Il faut compter « trois à quatre heures d’autonomie en travaux lourds et cinq à six en travaux légers », rapporte Armelle Damiano. Avec ses sept bouteilles de gaz, soit 190 l de réserve, dans sa version la plus polyvalente, le T6 est déjà bien chargé, ce qui présente quelques limites de maniabilité. « Trois bouteilles sont installées sur le relevage avant, donc quand j’ai voulu mettre le tracteur après le bol, je n’ai pas pu », regrette Christian Peterschmitt, l’un des tout premiers utilisateurs.

Les limites du gaz

Faire tourner son tracteur avec du gaz produit sur l’exploitation. Sur le papier, l’idée est séduisante. Les premiers utilisateurs du T6 ont tous un méthaniseur à disposition. Le gaz traverse un purificateur et en ressort sous forme de biométhane. D’où l’épineuse question de l’accessibilité au carburant : une station-service en sortie du méthaniseur est nécessaire et si possible, à proximité immédiate de la ferme. Installer une station pour autoconsommer coûte entre 15 000 et 20 000 € (plein lent), ou entre 50 000 et 70 000 € (plein rapide). Côté station publique, le coût grimpe à environ un million d’euros… 

Si les industriels semblent majoritairement réservés sur le gaz, c’est aussi pour des raisons de qualité. « Il faut être sûr d’avoir du gaz standardisé et de qualité optimale ! » pointe le directeur général de JCB France. « Garder le gaz pur et constant est difficile, ajoute Damien Fétis, patron du groupe du même nom, qui fabrique des moteurs pour la plupart des constructeurs. En outre, il est beaucoup plus agressif pour le moteur. » Argument balayé d’un revers de main par Armelle Damiano : « La motorisation gaz est une technologie maîtrisée aujourd’hui. » Autre obstacle à l’essor de cette énergie : le coût du tracteur. New Holland est particulièrement discret sur le sujet. Le surcoût à l’achat serait d’environ 20 % par rapport au tracteur diesel. Les frères Peterschmitt ont acheté leur T6.180 (avec option GPS) pour 160 000 € tout de même. 

Cap vers l’hydrogène 

La plupart des constructeurs semblent concentrer leurs efforts sur une autre motorisation, l’hydrogène. Pour l’heure, la technologie n’est pas du tout compétitive mais se montre très prometteuse à horizon dix ans. L’hydrogène est stocké sous pression dans des bonbonnes placées sous le véhicule. Le gaz comprimé et l’oxygène de l’air ambiant alimentent une pile à combustible constituant le bloc-moteur. En résulte une réaction électrochimique qui produit l’énergie pour alimenter le moteur électrique.

Télescopique JCB à hydrogène
Le télescopique JCB fonctionnant grâce à de l’hydrogène devrait être commercialisé d’ici la fin de l’année, selon le constructeur. (©JCB)
 

Énormément d’hydrogène doit être stocké à très forte pression. En fabriquer s’avérant difficile, le rendement demeure faible. « Produire l’hydrogène permettant au tracteur de tourner une journée demande des milliers de mètres carrés d’installations photovoltaïques », résume Nicolas Morel, de New Holland. Certes, en fabriquer via de l’électricité produite à base de gaz ou d’origine nucléaire est possible, mais peut-on encore parler d’énergie verte ? Et produire de l’hydrogène grâce à de l’électricité issue de la cogénération (fabriquée via une génératrice à gaz fournit par le méthaniseur de la ferme) reste complexe. « Le gros sujet, aujourd’hui, c’est comment produire de l’hydrogène vert à échelle industrielle et à tarif raisonnable », conclut Stéphane Chapuis, de la FNCuma.

L’autre défi est logistique : il faudrait organiser le stockage de l’hydrogène sur les exploitations agricoles et mailler le territoire de bornes de ravitaillement.

Le choix singulier de JCB sur l’hydrogène

La pile à combustible, sorte de « boîte magique » fabriquée à partir de matériaux rares, a, par ailleurs, une durée de vie assez limitée. Autour de 5 000 heures de fonctionnement. « À l’achat, le véhicule coûte entre 2,5 et 3 fois plus cher qu’en version diesel », estime Nicolas Morel. Pas de quoi décourager le motoriste Fetis Group, jusque-là spécialisé dans le diesel.

« On croit beaucoup à la filière hydrogène, assure son patron, Damien Fetis. C’est la production de masse qui permettra de réduire les coûts. » Philippe Girard, lui, ne pense pas que la pile à combustible ait vraiment un avenir dans le monde agricole, étant donné qu’elle ne supporte pas la poussière et s’avère très compliquée à refroidir. C’est pour cela que JCB, qui mise quand même sur l’hydrogène, se concentre sur les moteurs à combustion à hydrogène : de l’hydrogène, mélangé à de l’air, est injecté dans une chambre de combustion pour faire tourner le moteur. La technologie reprend les bases du système diesel et pourrait donc être applicable très rapidement. JCB prévoit d’ailleurs de livrer ses premières machines dès la fin de l’année.

Le moteur a le même encombrement que le modèle diesel et son autonomie serait d’une journée. « Le seul défi concerne l’approvisionnement en hydrogène. Il faut installer la station de recharge, vers laquelle l’hydrogène arrive par camion. Puis il faut le stocker à 350 bar et maintenir la pression, développe Philippe Girard. L’étape d’après, ce sera de produire l’hydrogène à partir du méthaniseur. » 

À chaque segment son énergie 

Si la plupart des industriels misent sur l’hydrogène, c’est aussi parce que les pouvoirs publics le soutiennent massivement en France comme ailleurs. Mais l’avenir ne sera sans doute pas mono-énergie et le diesel a encore de beaux jours devant lui. « Petits tracteurs, télescopiques et petits engins de manutention tourneront à l’électrique. Sur le matériel de plus grosse taille, ce sera de l’hydrogène. Et au milieu, pourquoi pas un mix des deux ? », imagine Christian Huyghes, directeur scientifique agriculture à l’Inrae. Et d’ajouter : « Je ne crois pas tant que ça en l’avenir du gaz. » Damien Fetis, qui partage cette réticence, imagine d’ici 2040 un parc machine composé à 40 % de tracteurs électriques, à 40 % de piles à hydrogène et à 20 % de moteurs à combustion interne. Le développement de ces technologies dépendra bien sûr de l’évolution des cours des matières premières et des réglementations. Toutefois, « si d’ici dix ans, la technologie n’a pas permis d’améliorer significativement l’autonomie des machines, alors cela ne se développera pas massivement et le carburant fossile restera la principale énergie », glisse Nicolas Walter. 

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