Alors que les négociations européennes sur la réforme de la Pac vont s’intensifier juste après la trêve estivale, Jean-Marie Séronie estime que la proposition de la Commission européenne du 1er juin 2018, base de travail pour les négociations, constitue une réforme bien plus profonde qu’il n’y paraît. L’ agro-économiste n’est pas certain que la proposition faite par Phil Hogan réponde pleinement aux attentes, tant des agriculteurs, que de la société civile.
[Interview] Jean-Marie Séronie décrypte les enjeux de la réforme de la Pac
De quoi ont besoin les agriculteurs bénéficiaires ? Jean-Marie Séronie estime que les agriculteurs doivent être soutenus sur deux points majeurs. Il y a d’abord la question de la volatilité des prix. Mais, selon le spécialiste, la Commission européenne n’a, en matière de gestion des risques, « aucune action et aucune conception, si ce n’est de dire que les aides directes constituent un tampon. Ce n’est pas une politique moderne pour bien appréhender la gestion des risques. »
Deuxième point majeur : la transition écologique. « Sur le volet environnemental, la Commission européenne ne propose rien ! Elle enlève toute dimension commune de la Pac, et demande aux Etats de bâtir des plans stratégiques nationaux, en fonction d’objectifs définis au niveau européen, en fonction du budget qui vous est donné. »
« Ces deux points devraient constituer le socle de la prochaine réforme », insiste-t-il.
Sur la forme, la proposition de la Commission européenne interpelle : « L’Europe se dirige-t-elle vers une renationalisation rampante de sa politique agricole ? Ou s’agit-il d’une décentralisation de la Pac pour une meilleure efficacité ? C’est le double regard d’une même réalité. En rapprochant la décision du terrain, on sera plus proche des besoins des gens et des territoires. Mais on va créer des distorsions de concurrence en matière de soutien économique mais aussi en matière environnementale. »
S’agit-il ainsi de la première étape d’une renationalisation complète de la Pac, première politique intégrée de l’Union européenne ? « Cela y ressemble », selon Jean-Marie Séronie.
La première étape d'une renationalisation complète de la Pac ?
Jean-Marie Séronie se projette aussi sur, non pas la négociation en cours, mais sur la réforme d’après, celle pour la Pac 2027-2034. « De 2020 à 2027, chaque Etat aura conduit ses propres actions avec le budget défini par Bruxelles. L’étape d’après, en 2027, les Etats membres pourront être tentés de vouloir gérer leurs propres actions avec leur propre budget, sans que celui-ci transite par Bruxelles. »
Mais alors ? La proposition bruxelloise ne constitue-t-elle pas une réforme beaucoup plus importante que ce que la Commission ne laisse paraître ? « Sur le fond, pourquoi pas ? Mais dans ce cas, il faut que cette proposition de réforme soit un vrai acte politique. » Autrement dit, qu’elle soit pleinement assumée. « Or aujourd’hui, nous sommes dans la précipitation ! »
Par ailleurs, la proposition de la Commission européenne bouleverserait les équilibres institutionnels européens : seule la Commission, et non plus le trilogue Commission-Conseil-Parlement – agréerait les plans stratégiques nationaux. « Le Parlement européen perdrait son pouvoir de codécision. »
Pierre Bascou, directeur de la direction en charge de la durabilité et de l’aide au revenu, à la direction générale de l’agriculture de la Commission européenne, l’a récemment rappelé à l’occasion du débat Afja-APCA sur la Pac : Bruxelles souhaite obtenir un accord politique global sur la réforme d’ici le printemps 2019, « avant les élections européennes », qui se tiendront fin mai 2019. « A-t-on le temps, en quelques mois, de boucler une telle réforme ? » Au regard de ce calendrier serré, « les différents acteurs ne vont-ils pas jouer la montre ? », questionne l’agro-économiste. Réponse dans quelques mois.