La campagne 2022–2023 débute dans un contexte très particulier, comme jamais rencontré. D’abord au niveau agronomique, d'une part, les températures douces records enregistrées depuis l’implantation ont provoqué une croissance exacerbée des céréales, et d’autre part, la minéralisation en azote des sols a battu son plein sans lixiviation particulière. Ensuite, les conditions économiques particulièrement difficiles enregistrées depuis quelques mois ont engendré des hausses significatives des prix des intrants, dont bien sûr des engrais azotés comme des carburants. En conséquence, il faut revisiter les schémas de fertilisation azotée des céréales pour s’adapter à ce nouveau contexte d’aléas.
Croissance et minéralisation records
Selon les endroits en Bourgogne-Franche-Comté, les températures moyennes enregistrées depuis le début de l’automne sont supérieures de 2,5 à 3°C de plus qu’au cours des vingt dernières années sur la même période. Pour les semis précoces de la première décade d’octobre, nombreux cette campagne, cela se traduit par au moins deux talles de plus que d’habitude, dont certaines sont des talles secondaires.
De son côté, la pluviométrie est restée un peu en dessous de la normale mais avec un régime plutôt régulier (figures 1 à 4).
Figures 1 à 4 : Position de l’année 2023 en cumul de pluies et températures moyennes
Auxerre (89)
Clamecy (58)
Dijon (21)
Tavaux (39)
Source : Météo France – analyse fréquentielle de 2003 à 2022
La minéralisation de l’azote dans le sol est influencée par le couple température & humidité du sol, plutôt favorable cette année. Les premières simulations de la minéralisation de l’humus étayent cette tendance vers une offre d’azote du sol élevée. Cette dynamique est à mettre en miroir avec le retour des pluies en septembre/octobre, qui a permis de remettre en marche les processus de minéralisation. Les températures douces enregistrées à partir de mi-décembre ont favorisé leur poursuite pendant l’hiver. À l’inverse, décembre est globalement déficitaire en pluie, ce qui laisse penser que les pertes par lixiviation hivernale seront limitées.
Tout cela laisse présager des reliquats d’azote sortie d’hiver (RSH) dans la fourchette haute, avec une variabilité attendue liée au type de sol, précédent et reliquat d’azote post-récolte 2022. Il y a tout intérêt à capitaliser et profiter de ces RSH élevés, d’autant plus dans le contexte des prix d’azote encore élevés.
Cet après-midi, c'est prélèvements de sol pour mesurer les reliquats d'azote sortie d'hiver dans les différents horizons afin d'apporter la bonne dose d'azote pour le bon développement des cultures#FrAgTw pic.twitter.com/jrfBBQ2Cfe
— Alexis Leherle (@AlexisLeherle) February 4, 2023
C'est parti pour les prélèvements de terre pour mesure des reliquats azotés dans nos essais ????@noriapcoop @aureaofficiel@agrosolutions @GuillaumeBOYET@EstelleCleuet @SucNicolas @HubertLecat @DelamareNoriap pic.twitter.com/3KtfJBkiqP
— Station ACE NORIAP (@ServtecPvNORIA) February 2, 2023
Les mesures sont donc plus que jamais un passage obligé en cette fin d’hiver,?y compris pour les futures céréales de printemps (orges en particulier) !
Quelles conséquences pour un apport en cours de tallage ?
Dans le cas général, l’apport d’azote au stade tallage contribue à assurer un nombre optimal d’épis/m² en augmentant la capacité des talles à monter à épis. La situation enregistrée actuellement s’éloigne du cas général pour toutes les céréales à paille, qu’il s’agisse de blé tendre, orges d’hiver et orges de printemps semées en cours d’automne. Le nombre de talles est pléthorique, dont beaucoup de secondaires, et le sol a fourni déjà suffisamment d’azote pour alimenter le peuplement qui à ce moment du cycle est peu gourmand.
Le raisonnement de l’apport tallage, et en particulier une potentielle impasse cette année, se fait sur la base d’un reliquat d’azote réel mesuré sur la parcelle, d’autant plus si ce dernier est supérieur à 50-60 unités.
Outre une mauvaise valorisation par la plante, un apport au cours du tallage trop conséquent ou non justifié est souvent préjudiciable pour la culture et sa rentabilité. En effet, une culture disposant de beaucoup d’azote utilisera de l’eau et de l’azote pour développer des talles qui ne donneront pas forcément d’épis, et aura tendance à moins développer son système racinaire. Sans compter l’augmentation du risque de verse et de maladies.
Entre coût des engrais et développement végétatif particulièrement important des cultures cette année, cela n’est pas à négliger.
Sans présumer de ce qu’il va se passer au cours des prochaines semaines, l’ ultra précocité de la végétation observée à ce jour peut laisser imaginer l’arrivée du stade épi 1 cm à une date très précoce, comme en 2007 et 2020 par exemple (au cours de la première décade de mars). Dans ces conditions, attendre l’approche de ce stade pour effectuer un premier apport d’azote représentant tout ou partie de ce qu’on aurait mis en temps ordinaire à ce moment-là. Comme toujours, anticiper cet apport si une période pluvieuse est annoncée à l’approche de ce stade pour que l’engrais soit sûrement valorisé.
Ce raisonnement n’est pas valable dans les situations où les premiers apports sont prévus avec des engrais binaires ou ternaires. Le premier apport est alors difficile à supprimer. Le compromis consiste à réaliser un apport minime, permettant de limiter la dose d’azote, tout en apportant les quantités suffisantes concernant les autres éléments, ou à décaler ce premier apport fin février plus proche du stade épi 1 cm.
Article rédigé par les partenaires de « Blé Orge Objectifs Protéines » (BOOP) Bourgogne-Franche-Comté : Chavassieux Diane et Pelce Luc (Arvalis), Blas Jérémie (CA21), Bonnin Emmanuel (Soufflet Agriculture), Bouchie Jean-Michel (Axereal), Chopard Patrick (CA39), Courbet Emeric (CA70), Derelle Damien (Seine-Yonne), Flamand Romain (SAS Bresson), Guittard Jean-Michel (Terre Comtoise), Koehl Philippe (Interval), Lachmann Alexandre (Bourgogne du Sud), Loiseau Marie-Agnès (CA89), Mimeau Mickael (Alliance BFC), Schnoebelen Franck (CA25-90), Villard Antoine (CA71) et Zambotto Cédric (CA58).