Inutile de chercher un forgeron commerçant ou un maréchal-ferrant habile en marketing à l’origine d’Actisol. Dans les années 1960, quand l’agriculture embrasse le modèle intensif, l’histoire atypique du constructeur de Cholet, dans le Maine-et-Loire, convoque deux scientifiques un peu rêveurs : Raoul Lemaire, négociant en grains et boulanger créateur du premier « pain bio », et Jean Boucher, l’un des premiers agronomes à voir dans le sol un milieu vivant. « Notre genèse, c’est la terre », résume Freddy Socheleau, aujourd’hui à la tête de l’entreprise.
Cette aventure au parfum alternatif démarre en 1963. Raoul Lemaire ne se contente pas de faire du pain. Négociant en grains, sélectionneur-obtenteur de blé, il écume les greniers des fermes à la recherche de semences adaptées au terroir. Il rencontre Jean Boucher, alors directeur des services de protection des végétaux de Loire-Atlantique. Le courant passe entre les deux hommes. Ils écrivent la « Méthode Lemaire-Boucher », une des bibles de l’agriculture biologique.
« Il faut se rendre compte qu’à l’époque, la dénomination bio n’existait pas. La conservation des sols, n’en parlons même pas ! L’obsession, c’était des parcelles propres, quasiment stérilisées, où la terre n’est qu’un support. Eux cherchaient une action mécanique qui respecte la structure du sol. Ils étaient en décalage complet, c’était très clivant. Ils se heurtaient à la pensée dominante », raconte Freddy Socheleau.
Les deux pionniers mettent au point la Fouilleuse, une dent de fissuration, en 1968, à Saint-Sylvain-d’Anjou. Large de deux mètres pour un poids de 255 kg, l’outil combine déchaumage et ameublissement du sol grâce à ses coutres forgés dont l’extrémité est interchangeable entre ailette pour le travail de surface et sabot de fissuration pour le travail profond. La sécurité à boulon limite son usage en grandes cultures. « Un équipement à la fois pour le bio et la conservation des sols, c’était vraiment la niche de la niche commerciale », reconnaît le directeur.
La Fouilleuse change de nom en 1970 et devient l’Actisol : « l’outil qui active le sol ». Elle se dote d’un double ressort en 1974, pour amplifier le phénomène de fissuration. La marque est déposée en 1982. Elle reste confidentielle. Un homme, Jacques Monin, débarque en 1985 pour la distribuer dans la France entière. Il sillonne l’Hexagone inlassablement, avec toujours un côté militant : il refusait ainsi de vendre aux agriculteurs conventionnels !
La gamme s’étoffe, les premiers matériels repliables Cybelle apparaissent, la finition carbure est proposée en option, à une époque où c’est encore rare. En 1999, le constructeur bascule dans une nouvelle ère. Gérard Socheleau quitte le fabricant de charrues Naud. Il rencontre Jacques Monin à la foire de Chemillé-en-Anjou, détecte le potentiel d’Actisol et prend la relève, accompagné de deux anciens collègues de Naud, Étienne Delahaye et Laurent Manceau : « L’entreprise a été dynamisée… par des pro-labour ! »
Actisol quitte le monde de l’artisanat, déménage à Cholet dans une ancienne métallerie, l’usine passe de 300 à 1 000 m² en l’an 2000 (puis 2 400 m² en 2010), la gamme s’étoffe, un réseau de distribution se met en place.
« Naud, c’était industrialisé, ils savaient faire. Ils ont commencé aussi à s’adresser aux conventionnels. Le point d’entrée n’était plus forcément le bio mais une approche différente du travail du sol », explique Freddy Socheleau, qui s’est associé avec son oncle en 2017, avant de prendre les rênes en 2022.
« Il ne voulait pas vendre à un grand groupe. Il aurait gagné plus d’argent mais il a fait le choix de l’indépendance », raconte ce fils d’agriculteur, ingénieur touche-à-tout en mécanique, matériaux et informatique. Actisol réalise aujourd’hui un chiffre d’affaires qui oscille entre 6 et 10 M€, avec une année 2025, marquée par la crise de la viticulture, autour des 8 M€.
Le dirigeant accorde une grande place à l’accompagnement des clients. Le fissurateur n’étant pas un achat « sur un coup de tête » et Actisol n’étant pas le constructeur « le moins cher », tout le processus du devis au champ « doit être irréprochable » : « 90 % de nos machines sont écoulées via des distributeurs. J’aime que les concessionnaires nous accompagnent sur les démos ou les mises en service. Ceux qui jouent le jeu sont à l’aise avec nos produits et en vendent plus année après année ».
Freddy Socheleau se souvient d’un client qui se lance avec un fissurateur Demeter et qui appelle tous ses voisins subjugué par l’efficacité de l’outil, ou encore d’un autre, du genre taiseux, qui le rappelle quelque temps plus tard pour dire qu’il n’a enfin plus de mouillères… « Il faut une adhésion du client, qu’il croit à notre philosophie, constate le chef d’entreprise. J’ai fait un jour une démo à mon père. Il ne comprenait pas la machine, je ne suis pas allé plus loin… »
Actisol compte aujourd’hui 21 salariés. Les services ne sont pas cloisonnés. Le bureau d’études assure une bonne partie du support client. Et si une bonne idée technique vient d’un commercial, il l’intègre. Dans le même esprit, « nous travaillons à la confiance », note Freddy Socheleau. Sur les quatre postes de montage, chaque ouvrier monte ainsi ses machines de A à Z.
Au cœur d’un riche bassin industriel, Actisol travaille avec 70 sous-traitants. Seules les petites séries avec peu de volume sont intégralement réalisées en interne. Le constructeur mène une soixantaine de projets spécialisés par an : « Quand des clients différents nous demandent la même chose au même moment, cela nous permet de dégager une tendance et d’anticiper le marché ».
Qu’est-ce qui distingue Actisol des autres constructeurs encore aujourd’hui ? « Ce que l’on peut revendiquer, c’est l’invention d’une technique. Les fissurateurs, tout le monde en vend maintenant, c’est un terme malheureusement galvaudé et détourné par beaucoup à des fins commerciales. Nous vendons un produit avec un historique, avec un fort aspect agronomie, jusque chez nos commerciaux. Nous en avons par exemple un qui a fait la Tecomah et qui sème des couverts sur ses pommes de terre, il sait de quoi il parle. »
Deux exemples prouvent que l’esprit des fondateurs est toujours là. Les pièces Fissol, lancées en 2015, forgées dans la masse avec des inserts en carbure, permettent de ne changer que la partie usée et non l’ensemble, mais aussi de mettre à jour de vieux outils comme, récemment, un Actisol de 20 ans remis à neuf.
Le Stell’air, un mulcheur à disques émotteurs venu du monde la vigne, n’a, lui, pas encore trouvé son public. « Il y a une incompréhension, l’outil est assimilé à une houe rotative… déplore Freddy Socheleau. C’est un ovni, une innovation de rupture. Nous sommes comme les pionniers en 1960, il faut prouver qu’on est dans le vrai. Au moins, là-dessus, nous ne sommes pas copiés ! »
 
           
                 
                 
                 
                       
                      