Les pratiques initiales et les changements
L’exploitation, totalement en grandes cultures, était conduite de manière classique avant de pratiquer les techniques de cultures simplifiés (TCS) dès 1981, sur une partie des surfaces. En 1990, nous sommes passés à un système avec un semoir technique, « sème exact » de chez Horsch d’une largeur de 4 mètres. L’objectif était de lutter contre l’érosion, dans des terres caillouteuses peu profondes, difficiles à travailler. L’ambition était aussi de respecter les bactéries du sol, l’agronomie, avec des couverts végétaux pour protéger et favoriser la vie du sol. En 2015, toute l’exploitation était en semis direct total. Le travail superficiel pose des problèmes de mauvaises herbes et de gestion des limaces, d’où le semis direct : « moins on touche au sol, moins ça germe ».
Dans ce système de semis direct, la lutte naturelle prend le dessus. Par exemple, on a vu se développer les carabes qui mangent les limaces, les vers de terre qui font le travail pour nous : échanges, digestion de la matière organique ! Tout cela a conduit à une amélioration de la portance des sols -moins on les travaille, plus ils portent- et à moins d’érosion. Le grand changement qui a suivi, juste avant mon installation, c’est le développement de l’activité de compostage, lancée au départ dans un souci de diversification, avec l’objectif de développer une activité au service du territoire. Et c’est devenu un enjeu d’enrichissement des sols en matière organique, en pleine cohérence avec les changements de pratiques opérés auparavant sur l’exploitation agricole.
Les raisons
Le premier déclic, par le passage en semis direct (réalisé progressivement), c’est la lutte contre l’érosion avec des sols argileux et difficiles à travailler, et beaucoup de cailloux. L’introduction du semis direct a facilité le travail du sol, amélioré sa structure et sa portance et installé une lutte naturelle qui se développe, ce qui nous a poussés à continuer. Le deuxième déclic, c’est la conviction que la matière organique améliore le fonctionnement des sols, d’où le développement du compostage dès 2003, avec l’apport de matière organique dans le sol et l’utilisation de sous-produits industriels (sulfate de potasse d’ammonium, matière fertilisante organique en partie). Tout cela nous a conduits à une diminution des intrants chimiques, ce qui était aussi notre volonté.
Les risques
Pour gérer le risque, il faut y croire ! Et se donner les moyens de réussir ! Cela s’est fait par étapes au niveau du travail du sol : d’abord un travail à 10 cm, puis 5 cm, puis superficiel, puis les TCS, et pas toute l’exploitation en même temps... L’activité compostage, c’est le collectif qui a aidé. Sans ACF, ça aurait très difficile, voire impossible !
Les difficultés rencontrées et les solutions
Certaines années ont été compliquées, c’est un changement de façon de faire qui a provoqué des problèmes, forcément. Par exemple, le problème d’envahissement par les souris : on a dû traiter, même si les buses et les renards ont fait leur travail aussi. La maîtrise technique du « sème exact » de chez Horsch qu’il a fallu apprendre, expérimenter... Les changements de production induits par nos choix techniques : on était producteurs de semences, on nous a retiré le contrat à cause de nos évolutions en TCS ! Cela n’a pas été simple à surmonter car c’était un débouché en moins.
La gestion de la main-d’œuvre a été complexe aussi : on s’est structurés, on a nommé des responsables d’exploitation, on a délégué de plus en plus, on s’est formés à la gestion des relations humaines (profils de poste, lettres de missions, délégations...), notamment avec Trame en 2018. C’est la passion du métier qui nous a aidés à porter tout cela, à dépasser les difficultés, à accompagner les évolutions, être dedans, à fond : il n’y a pas d’ascension sans passion dans le métier qu’on pratique ! Le réseau Agriculteurs Composteurs de France (ACF) a été aussi un fort soutien, humain, technique et réglementaire.
Les sources d’information
Le réseau ACF a été essentiel à notre développement par son côté « échange et lobbying pour faire évoluer la réglementation ». La lecture de magazines spécialisés, les documents techniques nous ont beaucoup aidés. Sur les questions de management et de marketing, on va chercher de l’information en permanence. Et l’entretien de bonnes relations avec les chefs d’entreprises, de façon informelle, agriculteurs ou non, est un point important aussi.
L’apport du collectif
Le réseau Agriculteurs Composteurs de France a eu un rôle essentiel. ACF, c’est du lien, des échanges, des « conseils et des ficelles » ! C’est aussi traiter les aspects réglementaires, avec les Ministères ; être en veille permanente en collectif, c’est de l’info que l’on s’échange, un carnet d’adresses et c’est aussi du lien au territoire... L’activité de compostage, qui a été un tournant de diversification décisif, n’aurait pas été possible sans se regrouper au sein d’ACF, pour faire reconnaître cette activité et notre statut d’« agriculteur et composteur », face à un marché où l’on rencontre de grands groupes. Nous nous sommes structurés autour d’ACF, 4 ou 5 personnes au départ !
Les bénéfices
La fierté de mieux produire, de prendre soin des sols (moins d’érosion), d’utiliser moins d’intrants chimiques, de consommer moins d’énergie fossile. On donne une meilleure image de l’agriculture : on apporte de la matière organique par les composts. En zone péri-urbaine, on travaille moins les sols et ainsi il y a moins de poussière, moins d’érosion et moins d’écoulement de terre vis-à-vis des habitants. La passion de progresser et c’est très intéressant : on est dans une recherche d’amélioration permanente tant sur la mécanisation que sur les méthodes culturales. On réfléchit tout le temps, on recherche des solutions nouvelles.
La perception du métier aujourd'hui
Être producteur de matière première pour l’agro-écologie, producteur de biomasse, une partie de l’exploitation agricole est dédiée à la production d’énergie, et pas qu’à l’alimentation. Mon métier, c’est aussi « apporteur de solutions pour le territoire », par rapport au recyclage des déchets verts, la production de matière organique et le paillage, la fourniture de combustible du type biomasse. C’est un vrai changement de métier ! Et notre projet aujourd’hui, c’est la création d’une unité de méthanisation en injection de 200 Normo mètres cube, en collectif (6 personnes, 4 agriculteurs et 2 actionnaires). La gouvernance est à construire en-semble, peut-être avec l’aide de Trame.
Et si c’était à refaire...
Si c’était à refaire, j’aimerais moins de barrages de la profession, de contraintes sur notre développement, et plus de soutien... Mais le plus important c’est que les agriculteurs gardent leur métier en mains. Aujourd’hui, les agriculteurs doivent se redonner une autonomie, être libres de gérer leur exploitation agricole.