Avant de rejoindre la colonne de plus de 600 tracteurs qui a manifesté mercredi dans le centre de Paris, Grégoire Bouillant, 40 ans, avait bricolé une pancarte : « Macron menteur, oui aux NNI (insecticides néonicotinoïdes), oui au sucre français ». Il l'a ensuite placardée à l'arrière de son tracteur, plus habitué à faire des semis, transporter des grains ou épandre de l'engrais qu'à arpenter le bitume parisien.
Pour le céréalier comme le reste des manifestants, le rétropédalage fin janvier du gouvernement sur les néonicotinoïdes pour les betteraves sucrières est « la goutte d'eau qui fait déborder le vase ». Ces insecticides toxiques pour les abeilles, interdits en France, ne bénéficieront finalement pas de la troisième année de dérogation initialement prévue en 2023, du fait d'une décision de la justice européenne. « Cela fait un moment que les mesures de restriction contre-productives s'additionnent pour nous », dit l'agriculteur en manœuvrant son tracteur. « Quand on interdit quelque chose à la ferme France on sait pertinemment que ça arrive de l'extérieur » via les produits importés, poursuit-il, ton posé et colère froide.
« Super allié »
Sur ses 340 hectares, exploités avec son frère en grande banlieue parisienne, Grégoire Bouillant se considère comme un « agriculteur raisonné ». « Les gens ont l'impression qu'on fait du mauvais travail, qu'on bourre nos produits de chimie. Ma terre c'est mon outil de travail, je n'ai pas envie de la polluer. » Il entend bien « produire avec de moins en moins de chimie », mais celle-ci demeure « un super allié » pour dégager des volumes conséquents et protéger les cultures des champignons ou des insectes parasites. Le producteur de blé, maïs, colza et betteraves ose un parallèle avec les médicaments : « On est tous contents d'aller chez le pharmacien ». « Faut arrêter de penser qu'on est des abrutis » qui traitent à tout-va, enchaîne-t-il. « On est prêts à entendre qu'il faut faire des efforts mais on a la sensation qu'on tape » sur une agriculture « qui permet de nourrir les gens à pas cher ».
« Qu'on nous laisse le temps » de trouver des alternatives aux molécules problématiques pour l'environnement, plaide-t-il encore, conscient d'être « peu audible » vis-à-vis du grand public. « Un cratère s'est creusé » entre les agriculteurs et le reste de la population, regrette-t-il. « Les gens ne savent plus ce qu'il se passe dans les champs, ils ont une image d'Épinal » oublieuse des exigences de rentabilité économique, conclut-il désignant du doigt le parc des expositions de la Porte de Versailles. C'est là que débutera dans moins de trois semaines le Salon de l'agriculture qui convoque une imagerie bucolique de la production agricole, axée sur les terroirs et la gastronomie.