Voilà quatre ans que Pascal Jousse, agriculteur à Voivres-lès-le-Mans (Sarthe), participe au groupe soja lancé dans le cadre d’un programme européen. Le projet, mené conjointement par la chambre d’agriculture et l’institut technique des protéagineux Terres Inovia, vise à améliorer la gestion des cultures par la diversification des assolements, mais aussi pour les éleveurs à améliorer leur autonomie alimentaire.
Conditions de réussite
Mais cultiver du soja, dans cette zone tempérée, cela ne s’improvise pas. « On essaye de le semer le plus tôt possible, mais quand le sol est suffisamment réchauffé », raconte Pascal Jousse. Sinon, la récolte serait trop tardive, dans des conditions trop humides qui pourraient compromettre la qualité de conservation des graines. Chez lui, cette année c’était le 8 mai. Seules les variétés très précoces (triple zéro) sont adaptées à ce climat.
Autre condition, l’accès à l’irrigation. Le soja a besoin de 400 à 450 millimètres d’eau durant son cycle, un volume proche du maïs. Or en Sarthe, la moyenne des précipitations ne dépasse guère 150 millimètres. « Sans irrigation, il faut au moins avoir des sols profonds, des parcelles à très fortes réserves hydriques », prévient Matthieu Charron, ingénieur développement soja à Terres Inovia. Il faut aussi une parcelle plutôt plane et sans trop de cailloux, pour la récolte : la barre de coupe doit descendre le plus bas possible pour récolter le plus de gousses possible. Autre impératif, l’inoculation du soja, pour lui permettre de capter l’azote atmosphérique afin que la plante puisse faire ses nodosités. Avant de semer, il faut donc mélanger les semences à un inoculum, une opération un peu fastidieuse. Pascal Jousse fait cela à la bétonnière.
Points de vigilance
La conduite de la culture du soja n’est en réalité pas si compliquée que cela. Au moment de l’implantation, le sol doit être réchauffé. Il faut donc trouver le bon créneau pour semer, afin qu’il lève rapidement. La levée, période assez longue, est en effet le moment le plus délicat. « Si on se loupe à ce moment-là, on le paie tout au long de la culture » avertit Meggie Belte, technicienne de la chambre d’agriculture des Pays-de-la-Loire, qui accompagne le groupe. « On a des taux de levée pas très bons, sur le groupe, complète Matthieu Charron. On sème entre 600 000 et 700 000 graines à l’hectare (densité de 60 à 70 / m2), pour un objectif de 500 000, mais on a du mal à l’atteindre, l’an dernier on était à 350 000 ». Les nombreux ravageurs, pigeons en tête, sont aussi en cause. Ils viennent sectionner les bouts de soja, consommer les cotylédons. Le problème, c’est que la semence coûte cher, 300 € par hectare environ, c’est le poste le plus important. Pour réduire ces coûts, Pascal Jousse produit sa semence fermière, un hectare par an.
Une fois la plante sortie de terre, la conduite est plus simple. « Cela fonctionne bien si on maîtrise le désherbage », remarque Matthieu Charron. « Il faut un désherbage de pré-levée et un à deux désherbages en post-levée, en bio on passe la herse étrille en pré-levée, à l’aveugle, puis en post-levée » détaille-t-il. Le soja se prête plutôt bien à la bio, car il n’y a pas d’autres interventions que le désherbage, il n’y a aucun besoin de fongicide ou d’insecticide.
La fin du cycle est très rapide, en deux ou trois semaines les graines arrivent à maturité, les feuilles jaunissent et tombent. La récolte se fait vers mi-septembre, et sur les trois premières années, les rendements obtenus n’ont pas été extraordinaires. « Il faudrait que ce soit au minimum 30 quintaux de l’hectare en sec et plus de 30 en irrigué », estime Matthieu Charron. Or l’an dernier par exemple, cela plafonnait à 20 en moyenne. D’une année à l’autre, c’est très hétérogène.
Les charges opérationnelles s’établissent autour de 470 à 500 €/ha en sec et entre 500 et 800 €/ha en irrigué. La marge brute, elle, s’établit à 428 € en sec et à 297 € en irrigué en moyenne sur les trois récoltes. Elle était même négative en 2020. La rentabilité est donc très aléatoire. C’est sans doute ce qui a conduit certains agriculteurs à quitter le groupe. De dix en 2019, ils n’étaient plus que six en 2020, il a fallu élargir le périmètre aux départements limitrophes.
Bon précédent avant céréale
Malgré ces chiffres parfois décourageants, le soja n’a pas dit son dernier mot. Dans une rotation, c’est un très bon moyen de diversifier ses cultures, le soja constitue notamment un très bon précédent avant céréale. « Comme c’est une légumineuse, il n’y a pas d’apport d’azote, il n’y a pas de pollution de nitrates » détaille Meggie Belte.
Pascal Jousse, qui est éleveur laitier, y voit surtout un bon moyen de réduire ses achats d’aliments à l’extérieur (« cela nous revient quand-même moins cher »). Une entreprise vient toaster son soja ce qui réduit la teneur en huile et équilibre les PDI. « Le soja que je produis me permet de gagner trois mois d’autonomie, sans achat à l’extérieur ».
« On a encore des progrès à faire pour obtenir des marges brutes satisfaisantes, mais avec le réchauffement climatique, l’avenir du soja dans l’ouest de la France n’est peut-être pas compromis, constate Matthieu Charron. Il y a 30 ans, beaucoup se disaient que ce n’était pas très sérieux de faire du maïs ici ! »