Situé sur le plateau du Neubourg (Eure), le bassin d’alimentation de captage (Bac) de Tremblay-Omonville s’étend sur 6 200 ha dont 5 900 ha de surface agricole, comptant 125 exploitations, 60 couvrent 80 % de la surface) avec des cultures céréalières et industrielles (betteraves, lin textile, pommes de terre).
La problématique rencontrée sur ce Bac : « la concentration en nitrates (NO3-) mesurée est au-delà du seuil de vigilance (37,5 mg/l) : elle varie plutôt autour de 45 mg/l. Même si aucun dépassement de norme n’a été observé, le Syndicat d’eau du Roumois et du plateau du Neubourg (SERPN) a souhaité agir en prévention pour éviter tout problème », explique le syndicat. Objectif notamment : « éviter l’installation d’une usine de dénitrification, qui permettrait de respecter les normes, mais représenterait un coût considérable ».
Suivi du reliquat entrée hiver
Pour cela, le SERPN mobilise tous les acteurs concernés : collectivités, industriels et agriculteurs... Un outil de modélisation a notamment montré qu’au vu de la profondeur des captages, « le temps d’inertie est important pour le Bac de Tremblay-Omonville : 30 ans de latence entre les pratiques actuelles et les mesures au captage », note Marine Gratecap, animatrice du Bac pour le SERPN. Marie-Hélène Mettais, vice-présidente du SERPN et aussi agricultrice dans le Bac, met en avant la dynamique collective de ce projet : « le partage des connaissances et des attentes de chacun, ainsi que la co-construction des outils ».
Dans ce cadre, l'indicateur de référence utilisé est le reliquat entrée hiver (REH), au moment où la recharge commence : « le modèle montre qu’en deçà de 60 unités d’azote par hectare par an à l’échelle du territoire, la concentration en nitrates au captage descendrait en dessous de 37,5 mg/l ».
« Faire de cette contrainte, une opportunité »
Pour Jacques Fauvel, l'un des 61 agriculteurs engagés, installé sur la commune d'Ormes et dont toutes les parcelles de l'exploitation sont concernées, « il faut faire de cette contrainte, une opportunité. [...] On cherche à faire progresser nos pratiques sans que ça nous coûte trop cher », témoigne-t-il. Outre les outils de pilotage de la fertilisation azotée (reliquats sortie hiver, N-Tester...), il travaille, comme plusieurs agriculteurs du Bac, sur les couverts végétaux pour piéger les nitrates pendant la période d'interculture. « Cette année, le mélange est composé de phacélie, sarrasin, niger, vesce et trèfle... », précise Jacques Fauvel.
« Un couvert réglementaire n'est pas efficace pour la qualité de l'eau », note Marine Gratecap, qui accompagne techniquement les agriculteurs sur le sujet en fonction du contexte et des attentes de chacun. Les agriculteurs cherchent, par exemple, à optimiser l'efficience des couverts en les semant au plus proche de la moisson et essayent de les laisser le plus longtemps possible en place. Marie-Hélène Mettais et son mari ont d'ailleurs revu leur organisation de travail et ont investi dans un semoir de semis direct à cet effet. Autre agriculteur du Bac, Alain Cousin a choisi de se tourner vers l'agriculture de conservation des sols.
Rémunération en fonction des résultats
Et l'originalité de ce projet, c'est que « les agriculteurs n'ont pas d'obligation de moyens, mais une obligation de résultats », précise Marie-Hélène Mettais. En effet, le SERPN a été sélectionné avec cinq autres projets européens (Interreg), en France et en Angleterre, pour expérimenter la mise en œuvre de "paiements pour services environnementaux" (PSE) depuis 2019. Ainsi, « les PSE sont des démarches volontaires dans lesquelles les agriculteurs sont rémunérés afin d'opter pour des méthodes agricoles plus efficientes ».
La rémunération est répartie en deux paiements pour 6 ans : le paiement individuel conditionné par les résultats du REH de chaque parcelle, et le paiement collectif proportionnel au nombre de parcelles concernées. Pour l'année 2020, 119 parcelles sur les 188 engagées ont atteint le résultat demandé. L'enveloppe de paiement s'élève à 133 783 €, et le bonus collectif : 42 480 €. Pour les agriculteurs qui ont obtenu de bons résultats comme Jacques Fauvel, cela représente une enveloppe de 110 €/ha. Et le bonus collectif permet de « maintenir la motivation des agriculteurs qui n'ont pas atteint leurs résultats à titre individuel », souligne Marine Gratecap.
Un film nommé "Le sens de l'eau" a d'ailleurs été réalisé par Baptiste Cléret et Marine Gratecap en 2020 pour présenter cette démarche collective de préservation de la ressource en eau. Et pour poursuivre la dynamique engagée, le SERPN entend déployer une démarche similaire sur deux autres Bac prochainement. Les problématiques de qualité d'eau y sont, par contre, différentes : « sensibilité à la turbidité et aux produits phytos absorbés sur les matières en suspension ». Si la base de la démarche est déjà là, tout reste donc à construire.