Paroles d'agris
Cultiver les jachères en 2022 ? Pour les 3/4 des agriculteurs, c'est non

Et vous ? Comptez-vous retourner/utiliser vos jachères en 2022 ? N'hésitez à partager votre avis dans les commentaires en dessous de l'article. (©Terre-net Média)
Et vous ? Comptez-vous retourner/utiliser vos jachères en 2022 ? N'hésitez à partager votre avis dans les commentaires en dessous de l'article. (©Terre-net Média)

L'objectif de cette dérogation est de « contribuer à la sécurisation des approvisionnements français et européens, pour l'alimentation humaine et animale, mais également aux équilibres mondiaux notamment pour les pays du pourtour de la Méditerranée et d'Afrique, dépendants des importations de céréales pour leur sécurité alimentaire », expliquait le ministère de l'agriculture dans l'arrêté publié au Journal officiel le 31 mars dernier.

« Cette valorisation des jachères sera sans conséquence sur le calcul des critères d'éligibilité au paiement vert, précise le ministère. Les surfaces resteront comptabilisées en tant que jachère, tant au titre des surfaces d'intérêt écologique que pour la diversification des cultures ».  

Au total, les jachères représenteraient environ 400 000 ha soit près de 1,5 % de la surface agricole utile en France (26,7 millions d'ha), selon les données d'Agreste au 1er novembre 2021 : 

Qu'en pensent les agriculteurs ? 

Mais que pense-t-on réellement de cette dérogation sur le terrain ? Nous avons posé la question aux agriculteurs, lecteurs de Terre-net via un sondage en ligne entre le 5 et le 7 avril (1 006 votants) : comptez-vous retourner vos jachères en 2022 ? C'est déjà fait ou prévu, répondent 13,2 % des votants. 13,3 % y réfléchissent comme en témoigne Pierre-Louis Decroos, agriculteur dans la Somme : « je pense retourner 1 ha de jachère pour implanter des tournesols, les marchés sont porteurs et c'est l'occasion d'essayer cette culture qui n'est pas très répandue dans le secteur. »

« Retourner les jachères non, mais les récolter oui », commente aussi Sébastien Delanery, sur la page Facebook de Terre-net. Pour la campagne 2022, les agriculteurs ont, en effet, la possibilité sur leur surface déclarée en jachère à la Pac (hors jachère mellifère) de conduire une culture de printemps ou bien de faucher ou faire pâturer cette surface, y compris dans le cas d'un céréalier, par exemple pour un voisin éleveur. Dans le cas d'une remise en culture, maïs et tournesol semblent les cultures qui sont les plus citées d'après les retours terrain. Reste à voir si les disponibilités en semences et en autres intrants peuvent suivre. 

Toujours, selon le sondage Terre-net, la majorité des agriculteurs (73,5 %) ne semble pas favorable à cette dérogation. « Si on a mis ces parcelles en jachère, c'est qu'il y a une raison », indique Olivier Rousselet. En effet, les jachères sont souvent des parcelles peu productives et/ou difficiles à exploiter car trop en pente, remplies de cailloux ou avec un accès compliqué...

« Chez moi, elles sont le long des bois où ça ne voit jamais le soleil ou dans des vallons entre les bois. La seule parcelle qui pourrait convenir (une partie au moins…) est juste à côté du captage d’eau de mon village, donc je refuse de la cultiver, témoigne Yaumegui Guigui. Et vu le prix des intrants, impossible d’être rentable ou économiquement à l’équilibre… ». 

« Au prix des engrais, on va plutôt faire l’inverse que de produire plus », renchérit Laurent Tavoillot. De son côté, Alban Telrom dénonce « une gestion à la petite semaine ». « Aucune chance de faire un rendement correct et qui plus est, c'est un massacre écologique, qu'il faudra régler quand ils décideront qu’ils n’ont plus besoin de nous ». « Pour le moment, il en faut au moins 3 % pour 2023, ajoute Alex Defou. Donc détruire en 2022 et resemer en 2023, c'est du grand n'importe quoi ! ». 

« Ce serait sûrement plus facile de remettre en culture certaines ZNT. Mais là, on touche à l'écologie et à la veille des élections, ce n'est pas bien », ajoute Thierry Dubreuilh. « Si le gouvernement avait peur de manquer, il fallait obliger les agriculteurs bio à mettre un coup d'azote sur les blés, même si cela n'est pas politiquement correct. C'est la double peine pour les agriculteurs : des charges importantes pour remettre en culture, sans être sûr que la culture soit réussie et l'an prochain, il faudra acheter de la semence pour remettre en jachère », pour Sy Roch. 

C'est « hors de question » aussi pour Nicolas Dufour, qui résume : 

  • « les terres concernées sont trop peu productives par rapport au coût des intrants » ;
  • « une terre en herbe depuis plusieurs années, retournée au printemps ne produira rien du tout, il aurait fallu la préparer avant l’hiver » ; 
  • « on nous dénigre en permanence et maintenant qu'on a besoin de nous, on vient nous demander d’investir encore plus ». 

Côté organisations, les réactions sont aussi partagées. Pour la FNSEA, « cette situation d'urgence nécessite de produire plus en France et en Europe, et c'est possible tout en respectant l'environnement ». Selon l'AGPB, « si on arrive à remettre en culture un tiers des terres actuellement en jachère, ce sera déjà une première victoire. Et si on a d'autres signaux positifs, on pourra espérer plus », a confié Cédric Benoist, secrétaire général adjoint de l'AGPB, à nos confrères de TF1. 

« Produire plus pour répondre à un manque de disponibilité n'est pas la solution, estiment la Confédération paysanne et d'autres associations* : nous produisons suffisamment de nourriture pour nourrir l’ensemble de l’humanité. Certes, il y a un risque de pénurie alimentaire à moyen terme (12 à 18 mois), mais il est possible d’y répondre en produisant autrement, en utilisant une partie des sols actuellement destinés à l’alimentation animale et aux cultures énergétiques pour la production d’alimentation humaine et en renforçant les capacités productives des pays en développement pour assurer leur souveraineté alimentaire. »

*Alternatiba / ANV-COP21 (groupe local de Besançon), Combat Monsanto, Faucheurs Volontaires 21, Fédération Nationale d’Agriculture Biologique, France Nature Environnement, GAB25, Générations Futures, Greenpeace France, Interbio Franche-Comté, Les Ami.e.s de la Confédération Paysanne et Les Amis de la Terre lors d'une manifestation à Besançon le 30 mars dernier. 

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