En plein Weather Market, l’actualité est habituellement très riche à ce stade de la campagne, et alimente les mouvements des cours. Mais elle l’est encore plus cette année, avec beaucoup d’incertitude générée par le Covid-19. « L’inconnue sur l'offre, on a l'habitude de la gérer. Par contre, l'inconnue sur la demande est plus compliquée à appréhender cette année », selon Matthieu Beyaert, responsable gestion des marchés à terme chez Noriap.
« Avec le printemps assez chaud et sec qu’on a connu, la moisson sera plus précoce. Ça va arriver très vite ! » Une bonne raison pour faire le point sur l’évolution du marché du blé.
Offre incertaine
Les conditions de développement des cultures dans les grands bassins de production à travers le monde sont relativement hétérogènes. Dans certaines zones, « les développements sont favorables voire exceptionnels, comme au Brésil par exemple, tandis qu’à d’autres endroits, ça se passe un peu moins bien. On recense notamment quelques alertes en Europe et aux États-Unis, mais aussi sur la partie sud du Brésil ».
En Europe du Nord, la météo défavorable a de lourdes conséquences : les surfaces de blé sont en recul de 7,5 % en France, de 7,1 % en Allemagne et 30 % au Royaume-Uni notamment, ce qui engendre un potentiel de récolte en forte baisse. La production française par exemple, n’est pour le moment attendue qu’à 32,8 Mt.
Pour Matthieu Beyaert, le mois de juin sera « comme d’habitude » décisif pour l’hémisphère Nord, s’agissant de la « période capitale du remplissage des grains, composante majeure du rendement ». Mais les opérateurs continueront de scruter chaque jour l’évolution de la météo, susceptible de faire bouger les potentiels de production jusqu’au dernier moment.
Forte volatilité des cours
La demande, qui est « relativement constante dans le temps et plutôt sur une hausse tendancielle au niveau mondial », est « perturbée en ce moment » à cause du coronavirus. Que ce soit la consommation humaine, la consommation pour la nutrition animale, mais aussi la consommation de biocarburants, tous les postes ont été fortement impactés par la crise.
La mise à l’arrêt de la restauration hors domicile et le confinement ont perturbé les débouchés habituels et fait fluctuer les cours du blé. Prenant comme référence l’échéance septembre 2020 sur le marché à terme depuis le mois de septembre dernier, « on constate un marché plutôt volatile, avec presque une vingtaine d’euros entre le plus haut et le plus bas », souligne Matthieu Beyaert.
Après la baisse assez brutale engendrée par le Covid-19 mi février, « le marché s'est rapidement rappelé que le blé était une commodité de première nécessité et que la baisse de la consommation, aussi évidente soit-elle dans une crise comme celle-ci, n'est pas forcément aussi importante qu’on pouvait le penser ». Passé le premier choc, le forte demande est revenue sur le devant de la scène, et, combinée à quelques inquiétudes climatiques, les cours ont progressivement rebondi pour « regagner quasiment tout ce qui avait été perdu. Depuis, on voit toujours une forte volatilité, avec des prix qui évoluent en dents de scie. »
« L’incertitude reste de mise et la consommation dépendra fortement de la reprise de l’économie mondiale et d’une éventuelle seconde vague ».
Par ailleurs, un autre élément à ne pas sous-estimer : la compétition avec le maïs, dont le bilan mondial est « perçu à ce jour comme extrêmement lourd » et qui risque fortement d’impacter le marché du blé.
Mais outre les inquiétudes sur le niveau de la demande, la géopolitique menace également. La résurgence des tensions entre la Chine et les États-Unis amène une incertitude supplémentaire. La parité euro/dollar aura, elle aussi, toute son importance. Une parité défavorable à l’Europe pourrait menacer la compétitivité à l’export et peser sur les prix intérieurs. Les tarifs sur le fret pèseront également dans la balance.
Tous ces « éléments qui ne dépendent pas directement de nos marchés auront une importance à ne pas négliger ». Et pour cause : « la récolte de blé français, aussi petite soit-elle, devra nécessairement, à un moment ou un autre, faire sa place sur le marché mondial et retrouver sa compétitivité. »
Alors, un sentiment plutôt haussier ou baissier ?
« C’est la question que tout le monde se pose », et à laquelle il est bien difficile de répondre. Ce qu’on constate, c’est qu’on est sur des niveaux de prix qui sont plutôt élevés au regard de l’historique des cinq-six dernières années. Selon l’avancement, ce que je conseille aux agriculteurs, c’est d’avoir engagé 30 à 40 % de leur potentiel de production pour sécuriser ces niveaux en étant très prudents, parce qu’on est vraiment sur la période où tout peut se passer. »