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Savoir « piloter » son entreprise pour transmettre et s'installer

Anticiper, se former, prendre en compte les paramètres économiques mais aussi sociaux et environnementaux... C'est cela piloter une entreprise !  (©Pixabay)
Anticiper, se former, prendre en compte les paramètres économiques mais aussi sociaux et environnementaux... C'est cela piloter une entreprise !  (©Pixabay)

« Pour nous, assureur historique des agriculteurs et agricultrices, le renouvellement des générations agricoles est une priorité », a martelé Jérôme Moy, président de la caisse régionale Loire Bretagne, en ouverture de la conférence "Installation et transmission des exploitations : une urgence pour notre économie ?", organisée par  Groupama le 2 mars au salon de l'agriculture. Ce dernier sait de quoi il parle : il a vécu, sur sa structure, le départ en retraite de trois associés et l'installation de deux jeunes agriculteurs pour les remplacer. Il connaît donc « le parcours du combattant », comme il le dit lui-même, par lequel il faut passer pour transmettre une ferme et s'installer en agriculture.

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Lire aussi : [Au Sia 2023] Fonds de portage Élan, ZAN − Les Safer espèrent donner un nouvel « Élan » à l'installation via le foncier

Commencer par en parler

D'autant que la transmission reste « un sujet tabou » pour beaucoup d'exploitant(e)s, où « l'humain » occupe une place aussi si ce n'est plus importante que l'économie. « Le parcours de vie sur l'exploitation est plus difficile à céder que celle-ci », résume Alexis Roptin, membre du bureau de Jeunes Agriculteurs. « Parfois, les cédants sont à bout de souffle : ils laissent leur outil de production vivoter et n'investissent plus pour le renouveler. Au-delà de l'économique, leur état d'esprit, vis-à-vis du métier notamment, n'est pas attractif pour les candidats à la reprise, qui arrivent souvent avec des envies de changement. Le prix de cession de l'exploitation devient alors un sujet de crispation entre les deux parties, alors qu'il faudrait chercher un juste équilibre entre la valorisation du capital pour la retraite et les capacités financières du futur installé. C'est de tout cela, dont il ne faut pas avoir peur de discuter, pour démystifier les choses », analyse-t-il.

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Le parcours de vie, plus difficile à céder que la ferme.

Rendre la ferme et le métier attractifs

En parallèle de la prise en compte de la valeur économique, ou de reprenabilité, des fermes à la place de la valeur patrimoniale, « un combat doit continuer d'être mené pour revaloriser les retraites agricoles », enchaîne François Beaupère, président de la chambre d'agriculture des Pays de la Loire. De même que sur « les aspects fiscaux et sociaux de la transmission pour que les exploitants retraités ne se sentent pas floués ». Revenant sur la question de l' attractivité du métier d'agriculteur, il déplore « la communication longtemps négative » de la profession, sur la pénibilité, le manque de rémunération, etc.

L'état d'esprit du cédant, parfois, n'incite pas à reprendre.

« Comment arriver sinon à l' objectif d'une installation pour un départ ? », interroge-t-il, rappelant « qu'avec un ratio de 2 pour 1, on en est encore loin ». Sans occulter complètement les difficultés, il faut communiquer aussi sur les éléments positifs. Le responsable professionnel prend, pour exemple, la revalorisation de certaines productions depuis quelques mois qui permet, malgré la forte hausse des charges, « de retrouver de meilleures marges et un peu de rentabilité ».  

conference groupama au sia 2023 sur l installation et la transmission des fermes
De gauche à droite : Alexis Roptin (JA), Nadia Roignant (groupe Groupama),  Anne-Lise Charie Marsaines (Groupama Gan Vie), François Beaupère (chambres d'agriculture), Amony Phily (jeune agricultrice), Patricia Lexcellent (Initiative France) et Jérôme Moy (Groupama Loire Bretagne). (©Terre-net Média)

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Se former

Représentant les chambres d'agriculture, François Beaupère revient sur l'accompagnement des cédants et des repreneurs, essentiel. « Les deux sont indissociables, d'où la transformation des PAI (point accueil installation) en PAIT (point accueil installation transmission) », fait-il remarquer, en passe de devenir des « " Pafit", ajoute Alexis Roptin, c'est-à-dire des " points accueil formation installation transmission" afin de regrouper, dans un même organe, toutes les étapes et acteurs pour une meilleure lisibilité et de mettre en avant l'intérêt, pour les deux publics, de se former ».

Aujourd'hui peut-être encore davantage qu'hier, pour les candidats à l'installation en particulier, dont les profils et parcours se diversifient, tout en étant de moins en moins agricoles, et qui manquent de connaissances théoriques et surtout de pratique. N'étant pas du milieu agricole et travaillant dans la cybersécurité informatique, Amony Phily est en train de créer un élevage caprin laitier dans la Nièvre, avec transformation et vente directe. Elle reconnaît la chance qu'elle a eue d'avoir bénéficié de formations ciblées dans le cadre de son PPP, de stages via Pôle Emploi chez plusieurs éleveurs de la région et d'un tutorat avec une éleveuse. « Sinon, en tant que femme, seule et venant de la région parisienne, j'étais beaucoup moins crédible », déclare-t-elle, évoquant ensuite les difficultés d'accès au foncier quand on part de rien. 

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Prendre en compte les éléments économiques, sociaux et environnementaux

« Un autre regard et de nouveaux outils sont nécessaires », souligne François Beaupère, faisant référence aux actuels 3P (plan de professionnalisation personnalisé), stage 21 h ou encore  PE (plan d'entreprise). Lequel doit, outre l'économie, comporter un volet « social et environnemental » pour prendre en compte « le temps de travail, l'intégration dans le territoire, le changement climatique, etc. ». Et constituer « un véritable outil de pilotage de l'entreprise, consulté régulièrement », pas « un simple document administratif qui reste dans l'armoire ». Le but, selon l'élu professionnel, est de « pouvoir échanger régulièrement sur les problèmes éventuels et non les découvrir au moment du bilan, après quatre années d'installation, car ils seront plus difficiles à résoudre ». François Beaupère insiste : « la montée en compétence doit se poursuivre tout au long de la carrière, pour maintenir les chef(fe)s d'exploitation performants sur la durée. »

Ne pas laisser son PE dans l'armoire.

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Financer son projet

Aider les jeunes agriculteurs à créer leur activité, c'est aussi les accompagner au niveau financier. En complément des prêt banques et éventuellement du financement participatif, ils peuvent solliciter le réseau Initiative France, qui fédère 200 associations sur l'ensemble du pays et soutient environ 20 000 entrepreneurs par an, tous domaines confondus, dont 600 en agriculture (1/3 de reprises et 2/3 de créations, généralement avec transformation et vente directe, soit 3 % en volume de projets mais 6 % en montant financé, avec un taux de pérennisation de 90 %), de plus en plus suite à une reconversion professionnelle. « Nous sommes un petit poucet dans le milieu agricole. Pour améliorer notre connaissance du secteur, nous travaillons avec les organisations professionnelles, nous avons d'ailleurs des partenariats avec Groupama et les chambres d'agriculture », détaille Patricia Lexcellent, déléguée générale d'Initiative France.

L'outil financier proposé : un prêt d'honneur à taux zéro sans garantie, débloqué par l'association après validation du projet et du business plan par un comité d'une dizaine d'experts et de chefs d'entreprise locaux. Amony Phily en a obtenu un d'Initiative Nièvre en complément d'un emprunt bancaire, un financement bienvenu puisqu'il lui faudra attendre un an avant que ses chevrettes produisent du lait. « L'idée est aussi d'encadrer les porteurs de projets durant les premières années », explique Patricia Lexcellent. Et de favoriser les bonnes pratiques économiques, sociales et environnementales, et par conséquent la transition agricole, via le label Initiative Remarquable entre autres. 

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S'assurer

Dernier enjeu et non des moindres : l'assurance et la prévention, primordiales en fin comme en début de carrière, à des moments − la transmission comme l'installation − où les producteurs ont bien d'autres problématiques en tête. « Les jeunes installés se croient invincibles. Ils pensent à assurer leur entreprise, mais pas leur santé », alerte Jérôme Moy de Groupama Loire Bretagne. « D'abord, nous les sensibilisons, dès l'installation voire en amont, aux risques qui évoluent », intervient Nadia Roignant, directrice marché agricole du groupe Groupama. Car il faut désormais tenir compte de ceux liés au changement climatique bien sûr, à la production d'énergies renouvelables (méthanisation, photovoltaïque), à l' agribashing, à la cybercriminalité... C'est pourquoi l'assureur propose un audit prévention (des incendies notamment), à réaliser si possible avant d'investir dans des bâtiments, équipements, matériel, cheptel.

Des risques qui évoluent.

En projet : une plateforme numérique pour que chaque exploitation puisse estimer le niveau des différents risques, avec une projection sur 10 à 15 ans pour adapter le système et les investissements au plus tôt. Et, en lien avec la réforme de l'assurance récolte, des trash tests climatiques sont en développement afin de mesurer l'exposition des fermes aux divers aléas. « La gestion des risques doit être davantage intégrée dans le stage 21 h et dans la formation initiale », suggère pour sa part Alexis Roptin. « Que les jeunes installés s'assurent ou non, au moins ils auront été informés », complète François Beaupère.

Côté cédants, Groupama dispose de près de 1 000 chargés de clientèle pour la prévoyance et 200-250 conseillers en gestion de patrimoine, sensibilisés et formés aux nouveaux défis à relever en agriculture en matière de transmission, de risque, etc. Pour les cessions compliquées, l'assureur fait appel à des avocats fiscalistes. « La transmission d'une ferme s'anticipe et les agriculteurs doivent être partie prenante, en raison des conséquences fiscales et sociales, que ce soit en termes d'impôts ou d'avantages », explique Anne-Lise Charie Marsaines, responsable gestion de patrimoine de Groupama Gan Vie. « En cas d'accident, maladie, invalidité, plus fréquents à cette période de la vie, il s'agit de garantir la pérennité de l'activité », pointe pour sa part Nadia Roignant, s'appuyant sur les trois types de bilan que Groupama réalise : prévention, retraite et succession avant et après cession.

Les jeunes installés pensent à leur entreprise, pas leur santé.

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Et surtout anticiper

Pour la plupart des intervenants de la table ronde, le mot de conclusion est « anticipation », de la transmission pour Alexis Roptin car « c'est la porte d'entrée pour tout le reste », de la transmission, de l'installation et des risques pour Nadia Roignant. Quant à Anne-Lise Charie Marsaines, ce sera « oser » en parler et faire les bilans nécessaires parce que « c'est compliqué et ça coûte cher ». François Beaupère choisit, lui, « personnaliser » pour l'accompagnement des cédants et repreneurs. Patricia Lexcellent préfère une courte phrase  : « Ne pas rester seul », autrement s'entourer de la famille, d'amis et de conseillers. Et Amony Phily de faire écho à tous, en disant : « Se sentir écouté, soutenu, accompagné. »

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