Sécurité alimentaire : faire bloc pour constituer des stocks ?

Moisson orge coopérative avec cellules de stockage
« Mettre de côté une partie de la récolte, c’est immobiliser de la richesse alors qu’il aurait été possible de vendre tout de suite et de placer l’argent », rappelle l'économiste Franck Galtier. (©S. Leitenberger, AdobeStock)

Sesame : L’Europe semble aujourd’hui redécouvrir les vertus du stockage de denrées, que pratiquent à grande échelle les pays asiatiques. Pourquoi avoir dédaigné jusque-là cette mesure de précaution ?

Franck Galtier : Le point de départ, c’est que stocker présente beaucoup d’inconvénients. Du coup, dès qu’on peut se le permettre, on évite d’y avoir recours. D’abord, stocker peut induire une dégradation des produits alimentaires qui peuvent par exemple moisir ou être attaqués par des insectes. 

Ensuite, stocker implique des coûts pour éviter justement cette dégradation (séchage, systèmes réfrigérés, silos, rotations des stocks, etc.) ou pour d’autres raisons logistiques (manutention, gardiennage, etc.). Enfin, il y a les coûts financiers. Mettre de côté une partie de la récolte, c’est immobiliser de la richesse alors qu’il aurait été possible de vendre tout de suite et de placer l’argent.

Compte tenu de ces inconvénients, le caractère omniprésent du stockage (à toutes les époques et dans toutes les régions du monde) peut sembler paradoxal. C’est que le stockage apporte une réponse à un problème essentiel : le risque de manquer. Notamment dans les situations de mauvaise récolte ou de rupture d’approvisionnement. 

Or, depuis les années 1990, la mondialisation a changé la donne, avec cette idée : désormais, tout le monde peut, à tout moment, trouver ce dont il a besoin sur les marchés interconnectés à l’échelle planétaire. D’où ce rêve un peu fou de pouvoir vivre dans un monde sans stock ou, du moins, avec des réserves minimales, ce qui permettrait de se débarrasser des coûts énoncés plus haut. L’idée n’est pas absurde. Mais il y a un certain nombre de cas où cela ne marche pas.

On ne peut donc pas toujours se passer des stocks grâce au commerce ?

Non. D’abord, certains produits ne passent pas par les marchés internationaux tout en étant très importants pour l’alimentation des Pays en développement (PED). C’est le cas, en Afrique de l’Ouest, du mil, du sorgho, du maïs blanc, qui constituent les principales sources de calories des populations.

Autre cas de figure, celui des pays de grande taille, comme l’Inde ou la Chine. Là aussi, en cas de mauvaises récoltes, trouver les quantités suffisantes sur les marchés internationaux se révèlerait très difficile car ces derniers sont étroits. Pour les céréales, en moyenne, ils représentent seulement 10 % de la consommation mondiale ! Les grands pays n’ont donc pas le choix. Ils doivent stocker.

Ce n’est pas rien car ils représentent une grande partie de l’humanité. S’ils ne disposaient pas de ces réserves, ce serait non seulement très dangereux pour eux, mais aussi pour le reste de l’humanité, car ils risqueraient alors d’aspirer tout ce qu’il y a sur les marchés, mettant à mal d’autres pays qui dépendent des importations.

Le troisième cas de figure où le stockage est très utile c’est quand il y a une rupture d’approvisionnement. Par exemple, quand, en mars 2021, le canal de Suez a été bloqué pendant une semaine par l’échouage d’un porte-conteneur géant, paralysant une partie des échanges. Mais cela peut être lié aussi à la survenue de conflits, de catastrophes naturelles.

Et puis il y a tous ces désordres géopolitiques et sanitaires qui, ces derniers temps, relancent l’intérêt de se doter de stocks…

Oui, face à des marchés internationaux beaucoup moins fiables, le stockage retrouve du sens. Car si, entre 1985 et 2005, les prix mondiaux des céréales étaient relativement stables, nous sommes depuis entrés dans une zone de turbulences, avec des crises financières, économiques et alimentaires répétées, dont celle de 2007-2008. 

La crise du Covid a accéléré la prise de conscience et la guerre en Ukraine l’a précipitée avec le blocage du maïs et du blé ukrainiens ainsi que les sanctions internationales contre les intrants agricoles russes et biélorusses

Fait aggravant, ce ne sont pas seulement les prix qui augmentent, mais aussi les délais d’approvisionnement. La crainte de pénuries est alors prégnante. Certes, les importateurs privés ont des stocks pour gérer les délais normaux d’approvisionnement mais, si ces délais doublent brutalement, passent de cinq à dix semaines, ils ne peuvent plus y faire face en termes de quantités. 

Or ce n’est pas le rôle des opérateurs privés que de détenir des excédents de stocks pour gérer les crises, c’est celui des gouvernements.

N’y a-t-il pas aussi des mouvements de panique qui créent une pénurie avant même l’épuisement des stocks ?

Tout à fait. Il y a plusieurs phénomènes. Les commerçants, anticipant le manque de produits et l’envolée des prix, n’ont pas intérêt à libérer leurs stocks. Et ceux, qui n’en ont pas, ont intérêt à acheter massivement avant la hausse des cours. Cela se produit à l’échelle individuelle, celle des familles, comme on peut le voir régulièrement pour l’essence, mais aussi à l’échelle internationale. 

Pendant la crise de 2008, des pays ont restreint voire bloqué leurs exportations, ce fut le cas pour le riz. Les pays importateurs, eux, ont paniqué, telles les Philippines qui, en un mois, ont acheté autant de riz qu’en six mois d’ordinaire.

Restons sur cette crise de 2008, où la flambée des prix internationaux des céréales et des huiles a donné lieu aux émeutes de la faim en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Or, étonnamment, les récoltes avaient été plutôt satisfaisantes à l’époque. Que s’est-il passé ?

Il y a eu de nombreuses controverses à ce propos. Aujourd’hui, l’analyse dominante pointe, à l’origine de la crise, la politique états-unienne d’augmentation des quantités de maïs utilisées pour produire du carburant, ce qui a fait grimper son prix. Par le jeu des substitutions, la montée des cours s’est assez vite...

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